Depuis 2013, l’abbaye d’Echourgnac réalise des travaux de rénovation par phases successives. Sœur Cécile-Marie, membre du comité de pilotage des travaux, et Philippe Rousselot, l’architecte du projet, reviennent sur les intentions et les réflexions qui ont guidé ces travaux.
Erigée en 1868 par des frères cisterciens appelés par le médecin d’Echourgnac et le préfet pour assécher les marécages et contribuer à endiguer le paludisme, l’abbaye Notre-Dame de Bonne Espérance est habitée depuis 1923 par des moniales cisterciennes trappistes.
Les bâtiments, anciens, sont rénovés par chantiers successifs depuis 2013. Après les parties "accueil" de l'abbaye, une nouvelle infirmerie et un nouveau réfectoire sont réalisés en 2013-2014, avant de revoir les lieux majeurs de la vie de la communauté -église, chapitre, bibliothèque, scriptorium, noviciat-, puis de poursuivre en 2021-2022 par la réfection des cellules -chambres-, des sœurs.
Mettre le monastère de plein pied et recentrer les espaces de façon plus cohérente
« Le but était de remettre à jour l’installation électrique dont la partie la plus récente datait de 1970, explique sœur Cécile-Marie, cellérière à l’époque et responsable de la première phase des travaux puis membre du comité de pilotage des rénovations. Autre but, revoir l’isolation thermique, quasi inexistante, et remettre les bâtiments de plein pied. Le monastère avait en effet cinq contre-niveaux, avec des escaliers partout, ce qui rendait la circulation compliquée pour nos sœurs ainées. »
« Une phrase de Mère Geneviève-Marie, l’abbesse de l’époque, m’avait marquée, complète Philippe Rousselot, l’architecte qui a accompagné la communauté dans ces rénovations. Elle m’avait dit que le lieu avait été construit par et pour des hommes, et qu’il fallait que ça devienne un lieu pour une communauté de femmes. »
Il faut dire qu’au fil du temps, les sœurs avaient adaptés comme elles pouvaient les bâtiments à leurs besoins, transformant des chambres en bureau par exemple, et répartissant leur bibliothèque sur quatre niveaux avec quatre types de rangements différents, ce qui rendait la recherche de livres compliquée.
Un chantier particulier, où l’architecture fait sens
Avant ce chantier, Philippe Rousselot avait déjà participé à des projets religieux, comme la rénovation de l’abbaye de Maylis, des projets enthousiasmants.
« C’est travailler sur des lieux porteurs de sens, explique-t-il. On a conscience de travailler pour des personnes qui ont fait des choix de vie radicaux et qui sont du coup très sensibles à leur espace. Mais si elles sont à la fois très impliquées, très attentives et très motivées, il y a en même temps une forme de détachement du matériel, parce que ce matériel est au service du spirituel. Ça rejoint mon idée de l’architecture, l’architecture fait sens, elle peut nous aider à nous approfondir. »
Deux types de choix ont ainsi été faits par la communauté en fonction de la destination des espaces. « Les pièces comme le chapitre, le réfectoire, le scriptorium, la bibliothèque ou l’église, sont des lieux pour nous très forts, détaille sœur Cécile-Marie. On a donc choisi des matériaux de très grande qualité esthétique, du chêne, des dalles de pierre, pour avoir des lieux beaux et nobles dont le caractère dise quelque chose de ce que l’on va y vivre.
Pour l’infirmerie, la cuisine, les chambres, c’est surtout le côté pratique qui a présidé. Pour les chambres on a par exemple beaucoup soigné l’acoustique pour que l’on ne se gêne pas d’une chambre à l’autre. »
Une autre particularité de ce type de chantiers marque beaucoup Philippe Rousselot, le rapport au temps.
Un temps et un espace différents… liturgiques
« Les moniales ne vivent pas le même temps que le nôtre, analyse l’architecte. C’est un temps rythmé par la liturgie. Nos contingences temporelles deviennent futiles à côté. Elles nous font rentrer dans un temps et donc un espace différent. Les temps de réflexion, d’échanges, sont ainsi beaucoup plus longs, plus intenses. Elles pèsent beaucoup les décisions qu’elles vont prendre et recherchent l’unanimité dans la communauté. »
Une unanimité communautaire qui nécessite, elle aussi, du temps. Il faut dire que tous les choix sont faits pour s’inscrire dans la durée, 100, 150 voire 200 ans !
« Pour y parvenir on procède par étapes, explique sœur Cécile-Marie. Il y a d’abord un petit comité de pilotage de quatre ou cinq sœurs qui débroussaille le terrain et fait des propositions. L’architecte les travaille, fait des esquisses à partir d’elles. Ces esquisses sont présentées à l’ensemble de la communauté où chacune s’exprime. Le comité de pilotage fait remonter toutes les remarques à l’architecte qui reprend… jusqu’à ce qu’on arrive à un consensus entre la communauté et l’architecte. Et puis on fait la même chose avec les matériaux ! »
Ce mode de fonctionnement et les choix faits par la communauté poussent l’architecte à revoir sa façon de travailler, à revenir à l’essentiel.
« Il y a une forme de purification des idées, confirme Philippe Rousselot, de simplification des choses. C’est un peu comme un artiste qui avec quelques traits seulement exprime quelque chose de très profond et de très fort. Tout ce qui est futile, on l’enlève ! »
Le scriptorium en est un parfait exemple.
Le scriptorium, lieu où la communauté se construit
« Le scriptorium est le lieu où le matin, après la prière communautaire des Vigiles, on prend un temps de lecture personnel de la Bible, de ses commentaires ou des Pères de l’Eglise, décrypte sœur Cécile-Marie. C’est un lieu de ressourcement, où l’on se nourrit spirituellement. C’est un lieu qui le matin est dans la pénombre. Chacune a un bureau personnel avec une petite lumière. On a besoin de silence et donc d’une beauté très sobre pour ne pas nous éparpiller. C’est un lieu où la communauté se construit de manière discrète mais réelle, où l’on s’enracine vraiment dans notre vocation qui est de se nourrir de la Parole de Dieu. On a donc beaucoup réfléchi pour que ce ne soit pas un lieu avec des bureaux d’école, mais un lieu qui favorise l’intériorité et où l’on soit heureuses d’être ensemble. »
Simplicité et beauté
Finalement, ce qui touche quand on découvre l’abbaye rénovée, c’est sa beauté et sa simplicité. « La simplicité fait partie de notre charisme cistercien, ajoute sœur Cécile-Marie. La lumière fait aussi partie de l’architecture cistercienne, on l’a reprise à notre manière. Je pense que dans la tête des architectes cisterciens il y avait l’idée que Dieu est lumière, et que faire entrer la lumière nous disait quelque chose de la présence de Dieu au milieu de nous. Quant à la beauté, c’est un reflet de la beauté de la Création, mais aussi de la beauté de notre vie monastique. L’architecture est un écrin pour vivre notre vie monastique. »
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